RESPONSABILITÉ DU DIRIGEANT SOCIAL A L’ÉGARD DES TIERS

Le Cabinet LAUGA & Associés est actuellement saisi par un courtier X évincé de sa commission prévue dans le contrat de mandat exclusif de vente d’un bateau signé avec une société Y.

Lorsque ce mandat a été signé, le bateau n’appartenait pas à la société Y, il était la propriété de la banque auprès de laquelle la société Y avait souscrit un contrat de location avec option d’achat.

La société Y se comportait comme étant le propriétaire du bateau mais connaissait parfaitement la situation.

Découvrant que la société Y avait finalement vendu le bateau juste après avoir levé son option d’achat auprès de la banque, et alors que le contrat de mandat était toujours en cours, le courtier X a engagé une action en paiement de la commission contre la société Y devant le tribunal de commerce.

Ce dernier, tout comme la cour d’appel, a estimé que le contrat de mandat était nul car la société Y ne pouvait vendre un bateau dont elle n’était pas propriétaire et a rejeté les demandes du courtier X.

Il apparait clairement que le dirigeant de la société Y a manipulé le courtier X pour l’évincer de sa commission.

C’est la raison pour laquelle le courtier souhaite engager la responsabilité personnelle du dirigeant de la société Y.

Il est difficile, pour un tiers, d’engager la responsabilité civile personnelle d’un dirigeant d’une société dotée de la personnalité morale car il convient, en dépit de la lettre des textes applicables (Art. L. 223-22 et L. 225-251 du code du commerce), de caractériser une « faute séparable [ou détachable] des fonctions ».

Suivant article L. 223-22, alinéa 1er du Code de commerce : « Les gérants sont responsables, individuellement ou solidairement, selon le cas, envers la société ou envers les tiers, soit des infractions aux dispositions législatives ou réglementaires applicables aux sociétés à responsabilité limitée, soit des violations des statuts, soit des fautes commises dans leur gestion ».

Suivant arrêt en date du 22 janvier 1991, le dirigeant est responsable à l’égard des tiers s’il est relevé qu’il a commis « une faute qui soit séparable de ses fonctions de dirigeant et lui soit imputable personnellement » (Cass. com. 22 janv. 1991, n° 89-11.650).

La notion de « faute séparable des fonctions » a été précisé par un arrêt de principe rendu le 20 mai 2003 par lequel la chambre commerciale de la Cour de cassation énonce qu’ « engage sa responsabilité personnelle à l’égard des tiers le dirigeant qui commet intentionnellement une faute d’une particulière gravité incompatible avec l’exercice normal de ses fonctions » (Cass. com., 20 mai 2003, n° 99-17.092, Seusse c/ Sati).

L’exigence d’une « faute séparable », notion protectrice et prétorienne dégagée dans les années 80-90 et largement inspirée du droit administratif, est justifiée par des raisons techniques et d’opportunité juridique :

  • d’une part, l’écran que constitue la personnalité morale conduit à ce que seule celle-ci est en

principe engagée par les conséquences des actes accomplis via ses organes,

  • d’autre part, une telle exigence a vocation à protéger des dirigeants contre les actions abusives,

lesquelles risquent de conduire  à la reconnaissance de la responsabilité in solidum du dirigeant et de la société et lesquelles ne constituent, bien souvent, qu’un « palliatif recherché à la défaillance de la société » (en ce sens, Métivet, J.-P., Rapport de la Cour de cassation pour 1998, p. 111).

Ce dernier argument est cependant apparu, au fil des scandales (Enron), d’une part intolérable au regard de l’éthique des affaires car au service d’une forme d’impunité des dirigeants sociaux et d’autre part peu efficace car l’entrave à l’action civile s’est traduite, en pratique, par la multiplication des plaintes avec constitution de partie civile, lesquelles, bien que souvent vouées à l’échec, perturbent le fonctionnement normal des sociétés.

Ces pratiques ont, par suite, conduit à un infléchissement mesuré mais salutaire de la jurisprudence de la Cour de cassation.

Suivant un arrêt de principe en date du 20 mai 2003, la Cour de cassation maintient l’exigence de « faute détachable des fonctions » pour engager la responsabilité personnelle d’un dirigeant mais ajoute qu’ « il en est ainsi lorsque le dirigeant commet intentionnellement une faute d’une particulière gravité incompatible avec l’exercice normal des fonctions sociales » (Com., 20 mai 2003, n° 99-17.092).

Deux critères subjectifs tenant au comportement du dirigeant sont ainsi posés :

  • d’une part, le caractère intentionnel de la faute qui résulte de la conscience du dirigeant d’accomplir un fait illicite susceptible de causer un préjudice à autrui,
  • d’autre part, le degré particulièrement élevé de gravité de la faute qui la rapproche sensiblement de la faute lourde.

L’incompatibilité avec l’exercice normal des fonctions est considérée par la doctrine majoritaire comme découlant nécessairement des deux critères précités.

Il est, en outre, indifférent que le dirigeant ait ou non agi dans les limites de ses attributions (Com., 10 févr. 2009, n° 07-20.445).

L’ouverture jurisprudentielle est néanmoins étroite et les dirigeants demeurent largement protégés, en tout cas pour les fautes qui relèvent de leur incompétence ou de leur imprudence, car la Cour de cassation retient une interprétation restrictive des critères de caractérisation de la faute détachable.

De manière synthétique, ne sont susceptibles d’entrer dans cette catégorie que les fautes commises pour des motifs personnels (v. par ex. récemment, Com., 10 nov. 2015, n° 14-18.179 : « engage sa responsabilité personnelle le gérant d’une SARL qui engage de multiples recours étrangers à l’objet et à l’intérêt de la société, dans un but d’enrichissement personnel ») ou des fautes d’une gravité exceptionnelle excluant l’exercice normal des fonctions (v. par ex. récemment, Com., 31 mars 2015, n° 14-14.575 : est susceptible d’engager « sa responsabilité personnelle, le dirigeant qui trompe volontairement son cocontractant sur la solvabilité de la société qu’il dirige, afin de permettre à celle-ci de bénéficier de livraisons que, sans de telles manœuvres, elle n’aurait pu obtenir »).

 

S’agissant de cette dernière hypothèse, il en est notamment ainsi de la « faute intentionnelle constitutive d’une infraction pénale », laquelle constitue désormais un cas autonome de faute séparable (Com. 28 sept. 2010, n° 09-36.255, pour le défaut de souscription d’une assurance obligatoire de responsabilité décennale ; ralliement récent de la troisième chambre civile, v. Civ. 3e, 10 mars 2016, n° 14-15.326) : le dirigeant qui commet une infraction pénale intentionnelle engage nécessairement sa responsabilité personnelle.

Par conséquent, si la faute détachable des fonctions permettant d’engager la responsabilité personnelle du dirigeant est difficilement caractérisable, elle n’est néanmoins pas « introuvable » (terme emprunté à D. Ohl, note ss. Com., 28 avr. 1998).

Dans notre espèce, il conviendra de caractériser au mieux la faute du gérant de la société Y en démontrant :

  • que le gérant a intentionnellement caché au courtier X que la société Y n’était pas propriétaire du bateau, ayant alors conscience qu’il pourrait obtenir la nullité du contrat de mandat et ne pas être inquiété sur la validité de la vente du bateau une fois l’option d’achat levée ; le but étant l’évincer le courtier de sa commission,
  • que la faute est particulièrement grave car elle tend à vendre la chose d’autrui.

 

 

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